Ce film, commencé avant l’entrée des chars soviétiques dans Prague, interrompu, puis finalement repris, a été immédiatement interdit à sa sortie. Chronique du fascisme ordinaire, décrivant l’état délétère de la société au moment de l’invasion imminente de la Tchécoslovaquie par les troupes d’Hitler, L’incinérateur de Cadavres est bien sûr aussi une métaphore du totalitarisme soviétique sur le point d’écraser le pays.
Mais ce qui rend le film si extraordinaire et si unique, c’est qu’il utilise pour cela la fantaisie et l’humour, une grande liberté de ton, ainsi qu’une audace du récit et de la mise en scène absolument jubilatoires. Ce film virtuose déploie une profusion d’effets, aussi bien à l’image (utilisation ludique du grand angle et des axes de caméra, cadrages inspirés…) qu’au montage, jonglant avec l’espace et le temps, le rêve et la réalité, créant des collusions insolites et des enchainements détonants. Comme hypnotisés, nous accompagnons le cheminement d’un « monstre » ordinaire qui s’enfonce peu à peu dans un délire mystique et criminel.
Ce terrifiant incinérateur doit énormément à la performance de Stanislas Milota qui l’incarne avec un charisme hallucinant. Du cinéma transgressif et immersif qui continue de résonner très fort.
Lucile Hadzihalilovic