Hallucinations Collectives

Rêves en ricochets : entre avant-garde et exploitation 

Lorsque Maya Deren et Alexander Hammid lancent Meshes of the Afternoon dans la mare cinématographique de 1943, ils sont loin d’imaginer les remous que leur film allait provoquer. En rompant avec la sacro-sainte linéarité de la dramaturgie hollywoodienne, et en légitimant l’onirisme comme pur moteur narratif, le film a ouvert la porte à un cinéma plus intuitif où rationalité n’est plus le maître mot, sans pour autant s’enfermer dans un hermétisme auteurisant et incompréhensible. Maya Deren enfonce le clou l’année suivante avec At Land qui vient à nouveau repousser les limites formelles et narratives, et achève de forger les bases d’un avant-gardisme expérimental américain.

Partageant avec le cinéma de Maya Deren l’idée-force d’un onirisme conscient, les trois longs métrages que nous vous proposons au sein de cette thématique ne sont pourtant pas des films expérimentaux, mais des petites productions indépendantes qui, par de troublantes résonances, semblent être les rêves d’un même cerveau au cours d’une nuit agitée. Outre l’usage du noir et blanc, et une forte inclinaison pour le fantastique, ces films ont en commun une même sensibilité artistique et sertissent leur fond d’une forme des plus appropriées. Ainsi, que ce soit par le fait d’heureux jeux du hasard (Le Carnaval des Âmes), d’expérimentations gagnantes (Dementia) ou encore d’une subtile maîtrise technique (Marée Nocturne), chaque film défie les normes industrielles de son époque. Mais, produits hors du système et de ses moyens de promotion, ils ont été irrémédiablement condamnés à alimenter les doubles programmes des gourmands circuits de distribution parallèles, finissant noyés dans le flot du cinéma dit d’ “exploitation”.

En allant au-delà de la simple idée d’offrir une nouvelle visibilité à quelques œuvres trop rapidement écartées des livres d’histoire, ce regroupement rétrospectif est l’occasion de les (re)découvrir et de les apprécier non pas en les opposant, mais en les embrassant comme faisant partie d’un flux ambitieux mêlant art et essai.