Titre original : Nosferatu: Phantom Der Nacht
Réalisation : Werner Herzog
Année : 1979
Origine : Allemagne, France
Durée : 107 min.
Diffusion : DCP, vf
mercredi 13 avril 2022 à 17h00
La nouvelle vague allemande, dont Werner Herzog faisait partie, n’entendait pas faire table rase du passé. Cela leur était impossible, car l’ombre de ce passé – le nazisme – pesait sur eux. Fils de l’après-guerre, ces cinéastes en voulaient à la génération précédente d’avoir sali le cinéma allemand, de l’avoir compromis avec l’abject. Alors s’est imposée à eux cette question : comment revitaliser un cinéma qui avait été asséché par la haine ? Wim Wenders, lui, est allé voir ailleurs, en Amérique, où le soleil éclatant de Paris-Texas a brûlé sa pellicule. Werner Herzog a aussi entrepris un voyage, mais vers le passé. Et il y a trouvé un diamant noir : Nosferatu de Murnau.
Sorti en 1922, ce chef-d’œuvre du cinéma dit expressionniste l’a bouleversé et lui a tracé une nouvelle voie : celle qui va d’un passé qui pèse à un passé qui manque, et dont la réactivation ouvrira de nouveaux possibles dans le présent.
Cinéaste de la démesure et de l’hubris, Werner Herzog n’a pas eu peur de se confronter à un chef-d’œuvre. Pour autant, son intention n’était pas de le surpasser, mais plutôt d’en proposer une variation. Une relecture à l’aune d’une inquiétude : comment faire du monstre, ici le vampire, autre chose qu’un grand Autre inassimilable ?
Grâce à son acteur habité jusqu’à la folie – Klaus Kinski qui interprète ici Nosferatu – Werner Herzog transforme le vampire en enfant de la nuit. Certes, le vampire demeure effrayant ; certes, son emprise est déroutante ; certes, il met le monde sens dessus dessous – mais quelque chose a changé. Le regard que le cinéaste nous fait porter sur lui est désormais chargé d’ambivalence plutôt que de rejet. Il nous repousse et nous attire. Sa vision est cauchemardesque et fascinante. On craint donc le vampire comme avant, mais on le plaint comme jamais.
Cette relation oxymorique est aussi au cœur de la littérature dite de mauvais genre. Les romans publiés par les éditions du typhon, dans la collection “Les hallucinés” – Le chien noir de Lucie Baratte, Le temps qu’il fait à Middenshot d’Edgar Mittelholzer ou encore Le Chef d’Harry Kressing – travaillent ces formes de l’ambivalence.
Les demeures hantées d’Edgar Mittelholzer, l’effroyable Barbe Bleue du Chien noir ou les âmes en peine d’Harry Kressing nous confrontent à la même question : comment tolérer l’inconnu dans notre propre psyché ?
Ainsi, il est tout autant question de visions hallucinées que du rapport à l’altérité. C’est pourquoi, dans cette littérature-ci, la violence, la haine et le racisme occupent une place si prépondérante. Or ces thématiques sont transfigurées, passées sous le scalpel de l’imaginaire comme pour être mieux disséquées.
En somme, le spectacle d’ombres offert par Werner Herzog et celui pourvu par les romans fantastiques du typhon sont jumeaux. Ce cinéma-ci ou cette littérature-là intensifient les angoisses d’une époque pour mieux la révéler. De la sorte, littérature et cinéma, en proposant une connaissance des gouffres, nous permettent de mieux nous en extraire.